Kamel Sassi au long cours

Kamel Sassi, permanent du foyer Marin’escale au Grand Port maritime, photographie les marins à l’escale.
© PHOTO PHOTO PASCAL COUILLAUD

Depuis 2008, l’œil du permanent du foyer des équipages Marin’escale s’ouvre au vaste monde. L’intime au bastingage, derrière un objectif photo.

De la mer, des photographes captent la spectaculaire majesté des houles furieuses, qui cognent la colonne d’un phare en mer d’Iroise, et des lames écumantes qui déferlent sur le pont d’un navire affrontant le gros temps. Et puis, il y a ces passeurs du temps qui savent capturer l’horizon lointain des profondeurs de l’âme ; cette écume des jours, que secrètent les marins au commerce, au rythme lent et cadencé des pulsations d’hélices des cargos. Une formidable énergie qui traverse les eaux du globe, parfois sur les courants d’un désespoir intérieur. En équipage, mais seuls. Loin, très loin du foyer, de la femme, des enfants. Il peut en résulter des sourires un peu forcés, des regards humides de nostalgie ou alors, une incroyable foi dans l’inconnu qui se lèvera demain, au-delà de l’horizon qui reste encore à explorer.
Des portraits de très grande sensibilité que, par sa fonction de permanent du Seamen’s club – le foyer des marins au Grand Port maritime de La Rochelle – Kamel Sassi met en boîte comme on s’applique à saisir de petits trésors secrets.

Accoudés au bastingage
Kamel est l’un des visages connus du port de commerce. Algérien d’origine, accueilli enfant dans les bras de l’émigration, il sait combien est vaste l’océan des chocs culturels. Ce qui ne manque pas de donner chair à ces Ukrainiens, Philippins, Cubains et autres Russes qui lui donnent le change, accoudés à un bastingage, revêtus d’une cote en coton orange sali, coiffés d’un casque de sécurité.
Dans son objectif, se télescopent l’œil du terrien qui voit tout aller trop vite, et le regard de ces marins polis par les grandes houles qui arrondissent l’impatience et patinent les nerveux. Kamel Sassi pointe un paradoxe chez l’homme du long cours : « Avec Internet et les connections Wi-Fi proposées au Seamen’s, nous les sentons moins isolés qu’autrefois lorsqu’ils devaient se contenter de l’achat d’une carte de téléphone, et résumer les échanges familiaux à dire qu’ils étaient en vie, ou à demander si l’argent envoyé le mois d’avant était bien arrivé. Absents de chez eux un an parfois, ils peuvent aujourd’hui voir leurs femmes et enfants sur skype. La révolution d’Internet… Mais en même temps, je ressens des hommes très discrets. Ces marins vivent tout le temps entre eux, dans la même boîte, enfermés dans l’intimité de leur cabine. Je n’ai pas l’impression qu’ils échangent beaucoup sur l’intime. »

Tout en pudeur 
Kamel Sassi touche, explore, mais avec une extrême pudeur dans sa passion. L’appareil photo le suit en permanence au Seamen’s où la télévision garde un œil ouvert en permanence sur le monde, où le cœur des hommes se réchauffe autour d’un billard, devant une bière. Mais il ne force jamais une image. 120 nationalités différentes passent chaque année par ce foyer qui célèbre son vingtième anniversaire (lire ci-dessous), notamment à travers l’exposition consacrée à son travail. Une dizaine de portraits parmi le millier de photographies prises depuis cinq ans. « Cette ambiance nous oblige à nous adapter. Ici, les cultures sont diverses et brassées. D’une nationalité à l’autre, on ignore comment le même geste sera interprété. »
Gamin, dans le laboratoire de développement d’Ali, son père, Kamel se délectait de la magie de la révélation, cet instant où le choc chimique dans le bac force les contrastes en douceur pour que la photo se transfère sur le papier. « Petit, j’étais aussi impressionné par le fait de pouvoir figer des personnes, d’arrêter un instant. »
C’est à Limoges, au service des entreprises de porcelaine qu’il a vraiment débuté dans le métier, avant que la crise de la filière ne l’invite à repousser son horizon. La Rochelle ? « J’aimais bien, j’y séjournais en vacances. J’ai fini par m’y installer en 1996. »
Kamel Sassi tâtonne jusqu’au jour où, prenant femme, il cherche à installer davantage de confort dans son foyer. « J’entends qu’un poste se libérait au Seamen’s club. C’est ainsi que j’ai débarqué là, en 2008. » Son escale aux portes du vaste monde des gens de mer pouvait débuter.

par Philippe Baroux / Sud Ouest