L’« Armeria 14 » file à fleur d’eau

Photo Pascal Couillaud

2 300 mouvements par an

Le service du pilotage de La Rochelle-Charente est un syndicat professionnel organisé autour de huit pilotes maritimes. Ils prennent en charge l’accostage et l’appareillage des cargos, au départ du Grand Port maritime de La Rochelle et du port de commerce de Rochefort-Tonnay-Charente. Ils réalisent près de 2 300 opérations par an, un chiffre en baisse ces dernières années (3 000 opérations il y a dix ans) car les cargos sont moins nombreux à l’escale, mais leur capacité de charge est plus importante. Il est courant que les pilotes mènent des navires de 250 à 270 mètres de longueur (record, 330 mètres, le paquebot « Britannia », accosté il y a deux semaines). Sept patrons de pilotines conduisent les pilotes à bord des cargos ou les récupèrent quand ces derniers rejoignent la haute mer. Les pilotes sont copropriétaires du matériels, notamment des trois pilotines.

PHILIPPE BAROUX

Port-Louis, petit abri de granit fortifié, verrou de la rade de Lorient. Ce mercredi, Jean et Georges, les deux frères, et Marc, le fils du premier, sont tout à la joie de livrer l’« Armeria 14 » à l’équipe du pilotage de La Rochelle-Charente. Dans la famille Bernard, on prend tout le temps nécessaire pour construire des bateaux professionnels. Les clés de la vedette rapide sont transmises. Les deux fois six cylindres Scania ronronnent sagement, trois années de chantier se referment.

Signature du procès-verbal de livraison contre remise du solde de tout compte, complément de carburant, achat du pain, les marins larguent les amarres ! Sept heures de mer inscrites au menu des estomacs bien accrochés, pour rallier la Pallice.

Son plus long voyage

La nouvelle pilotine est parée pour le plus long trajet de sa carrière. 120 nautiques, près de 230 kilomètres. Un beau galop d’essai après la séquence de mise au point, et avant de l’installer dans la routine des pertuis, entre Grand Port maritime et zone d’attente des cargos sous Oléron. « Armeria 14 » déposera les pilotes à bord de ces navires. Pas d’accostage aux terminaux de La Rochelle, de Rochefort ou à Tonnay-Charente sans les conseils avisés de ces techniciens de la mer de proximité. L’escale terminée, cette auxiliaire nautique fera une nouvelle rotation pour ramener ces guides au port. À chaque « prise de pilote », ses va-et-vient n’excèdent jamais plus de 10 nautiques (19 kilomètres). Pour réaliser cet exercice dans les meilleures conditions, vitesse et manœuvrabilité sont les qualités requises. Un cargo qui attend est un cargo qui perd de l’argent. À la barre de la vedette, la précision du patron est déterminante pour la sécurité du pilote ; embarquement et débarquement s’effectuent par une échelle déroulée le long de la coque du cargo. À ce moment-là de la manœuvre, les deux bateaux sont bord à bord, un géant contre un Poucet…

De jour comme de nuit, les huit pilotes rochelais réalisent ainsi 2 300 manœuvres par an. Sept patrons de vedettes prennent aussi leur tour au planning ; chacune des trois vedettes navigue un millier d’heures dans l’année.

Pour le convoyage depuis la rade de Lorient, les deux pilotes maritimes Régis Buray et Thierry Warion, et les deux patrons de vedette Laurent Front et Julien Dumont, ont enfilé vestes étanches et brassières de sauvetage. Pascal Dupouy dont la société ASES a installé l’électronique embarquée est aussi du voyage.

Au moment même où les deux hélices prennent des tours dans un sifflement doux de turbos, trois des « Pen Duick » de Tabarly glissent dans le décor, toutes voiles dessus. Image de carte postale…

Dehors, entre Groix et Belle-Île, un vent de nord-est souffle à 50 kilomètres/heure. Il est prévu une escale à Belle-Île si l’océan n’est pas maniable. Carte postale espérée…

À la vitesse maximale

10, 15, 20… 25 nœuds. La main pousse les gaz, « Armeria » accroche sa vitesse de pointe. Deux volets sur l’arrière stabillisent son assiette. Belle-Île est oubliée, Houat laissée sur bâbord, l’estuaire de la Loire est franchi à 20 kilomètres au large. L’étrave effilée tranche la crête des vagues. Les patrons se relaient à la barre et savourent le confort à la mer. C’est aux pilotes de se régaler à présent aux commandes. La houle écume, la vedette fonce dans une partie de saute-mouton puissante et saccadée. Régis Buray, responsable du matériel au pilotage, ne quitte pas la jauge de carburant des yeux. 90 litres de gazole à l’heure, contre 140 sur les anciens modèles. Pour autant, les chevaux ne s’économisent pas. Plein régime. 72 décibels mesurés dans la cabine ; elle est posée sur des blocs de caoutchouc pour amortir les vibrations de la coque. Le bruit est à peine supérieur à celui d’un lave-vaisselle. Les marins goûtent ses performances, les paquets de mer s’écrasent sur les vitres. « Armeria » court et s’emballe, part dans quelques ruades contrôlées quand une vague plus forte frappe ses flancs. Musclé. Tout le monde s’accroche. Halte à l’Île d’Yeu, quatre heures après le départ. Premiers bilans. Positifs. Bon d’accord, le chantier a oublié de mettre une pile dans la pendule. C’est la blague du jour, elle tourne en boucle.

Pour le reste, c’est l’accord parfait. « Elle est vive, bien dans ses marques, lourde et puissante », savoure Julien Dumont, l’un des patrons. « Regarde la ligne arrière, plus fine, fait observer Thierry Warion, responsable du pilotage rochelais. C’est important, quand il s’agit de décoller de la coque du cargo. » Julien précise : « Le cargo ne stoppe pas pour prendre le pilote. Tu joues avec tes deux moteurs pour la faire avancer légèrement en crabe. Et il faut de la puissance pour contrer l’aspiration de la coque du cargo. Tout va très vite. Quand un pilote redescend, on s’écarte un peu et on s’approche d’un coup. Et lorsqu’il embarque, c’est pareil, une chute à l’eau est préférable à une chute sur le pont de la pilotine. »
14,5
En mètres, la longueur du bateau.
4,50
En mètres, sa largeur.
15
En tonnes, sa capacité de déplacement.
450
En chevaux, la puissance pour chacun des deux moteurs Scania.
26
En nœuds (47 km/h), sa vitesse maximale.
850 000
En euros, le prix de la vedette, dont 30 000 euros d’équipement électronique.
90
En litres, la consommation de gazole à l’heure. La soute à carburant contient 1 600 litres.

Source: Sud Ouest