Le Seamen’s Club accueille les marins du monde [Brest]

C’est un modeste local bien caché derrière l’hôtel des Gens de Mer, sur les quais du port de commerce. Peu de Brestois en connaissent l’existence et pourtant l’adresse est réputée chez les marins étrangers. Là, ils trouvent une connexion internet gratuite,  un ordinateur, un billard, du thé et du café à volonté. Créé par un prêtre-ouvrier, Job Daouben, le Seamen’s Club de Brest existe depuis 1994. Dix-sept foyers d’accueil similaires existent un peu partout en France.

Tous les matins, Alain Michel, unique salarié de l’association, fait la tournée des bateaux fraîchement arrivés à quai. Il monteà bord, présente les services du Seamen’s Club, laisse ses coordonnées et quelques prospectus. Après 35 ans de carrière enmer, cet ancien de la Marine nationale souhaitait rester dans le milieu. Il a trouvé ce poste à mi-temps. « Le soir, j’ouvre le local de 18 heures 30 à 22 heures, les marins peuvent m’appeler pour que je vienne les chercher en camionnette. A pied, c’est compliqué pour eux de venir… Les quais ne sont même pas éclairés !». En plus d’un poste salarié, l’association fonctionne avec une quinzaine de bénévoles, qui consacrent une ou deux soirées par mois aux marins.

Sur le registre du foyer, les visiteurs inscrivent leur nom et celui de leur bateau. Ils sont dix en moyenne à pousser les portes du club chaque jour. « Il y a un quart de Philippins et un quart de Malgaches. L’autre moitié, ce sont des Russes, des Ukrainiens, des Roumains, des Polonais, des Chinois… Ils viennent souvent en groupe et ils se mélangent peu», observe Thierry Beisser, trésorier.

Les marins roumains de l’Hanna C, cargo en réparation à Brest, viennent d’arriver au foyer. Premier geste: brancher l’ordinateur et se connecter au wifi du Seamen’s Club. Sur les écrans, on entraperçoit les visages des proches sur Skype. « Il n’y a même pas de wifi sur le port et je ne suis pas sûr qu’il y ait une cabine téléphonique. On ne s’occupe pas du tout du bien-être des marins alors que c’est eux qui font tourner le port quand même! », s’indigne Alain Michel. Lui n’hésite pas à leur rendre de multiples services: « L’autre jour, j’en ai conduit un chez Géant pour acheter une télé. Tout à l’heure, j’ai donné des indications à un Roumain qui voulait visiter Brest ». Le Seamen’s Club dispose également d’une minuscule boutique pour dépanner les marins. En vitrine, des cartes téléphoniques, des friandises, du savon, du dentifrice mais aussi quelques parfums pourfemmes «Made in France». «Les parfums et les barres de chocolat, ça marche très fort chez les marins. Ils en achètent avant de rentrer chez eux, ça leur fait un souvenir à rapporter», souligne Alain Michel.

L’association devrait déménager prochainement dans un local plus grand et plus visible, qui permettra d’accueillir les marins dans de meilleures conditions. Mais l’équipe voudrait en faire plus: étendre ses horaires d’ouverture, prêter des vélos, acheterde nouveaux ordinateurs, organiser des visites guidées de la ville… Financé principalement par la région et la ville, le foyer manque de moyens pour développer de nouveaux services. «Nous souhaiterions que les armements participent à notre financement, via la taxe portuaire par exemple, explique Thierry Beisser. Les marins sont loin de chez eux pendant des mois et des mois, leurs conditions de vie sont difficile, heureusement qu’ils ont un lieu comme celui-ci pour se détendre. Derrière lesbateaux, il y a de l’humain, faut pas l’oublier».

On croise peu les marins étrangers sur le port de commerce, et pourtant ils sont des dizaines sur les bateaux à quai. Au Seamen’s club, nous avons croisé la route de Rina, Harena et Eddy. 

 

Harena (en photo) et Rina, 33 et 34 ans, malgaches

Rina et Harena sont matelots sur le Léon Thévenin, un câblier de France Télécom sur lequel travaillent quelques Français et de nombreux Malgaches. Demain, ils prennent la mer, direction l’Ecosse pour une opération de maintenance. Tous deux sont embarqués depuis trois mois, il leur en reste trois à passer à bord avant de rentrer chez eux. Originaires de la capitale, ils sont devenus marins presque par hasard. Rina n’avait vu la mer que deux fois dans sa vie avant de devenir matelot sur des navires de pêche à Madagascar: « J’avais entendu dire que le secteur recrutait et j’ai postulé pour la formation à l’école maritime. J’ai failli abandonner après mon premier embarquement parce que c’est très difficile d’être loin si longtemps ».

Harena avait commencé des études à l’université, en physique-chimie puis en économie. Finalement, sur un mur de la fac, il a vu une affiche pour le concours de l’école maritime. «C’était mon destin», murmure-t-il, tête baissée. Père d’un garçon de deux ans, il vient d’échanger sur Skype avec sa femme, enceinte de leur deuxième enfant. «Avant mon embarquement, j’ai commencé à négocier pour pouvoir partir et revenir plus tôt afin d’être là pour la naissance. J’espère que je vais réussir à rentrer à temps ». Peu intéressé par internet, il s’est mis à utiliser Skype depuis peu, «parce que ça change tout». 

Camarades de promotion à l’école maritime, Rina et Harena espèrent changer de métier, un jour, dès qu’ils le pourront. L’éloignement leur pèse mais ils savent que s’ils arrêtent, ils ne retrouveront jamais plus un salaire équivalent. Aujourd’hui, les deux

matelots gagnent 1000 euros par mois. «Le salaire moyen chez nous, c’est 40 euros, souligne Harena. Je n’ai pas de soucis d’argent, mais nous ne sommes pas bien payés par rapport aux marins internationaux, je m’en rends bien compte». Avant de se décider à démissioner, Rina économise tant qu’il peut: «Je voudrais bien investir à Madagascar, pourquoi pas ouvrir unrestaurant…». De l’Europe, il connaît surtout Brest, port d’attache de son bateau: «J’ai été voir les centres commerciaux, les cinémas. Je me plais ici, même le climat ne me dérange pas !».  

 

Eddie, 27 ans, Philippin

Dans une autre salle du Seamen’s Club, Eddie échange sur Skype avec d’autres marins, en escale dans d’autres ports. «J’ai plein d’amis embarqués, nous nous parlons depuis des Seamen’s Clubs de partout en Europe», explique-t-il dans un très bon anglais. Les Philippins représentent plus de 20% de la main d’œuvre maritime mondiale, ils sont présents sur la plupart des bateaux de la marine marchande.

Eddie a toujours rêvé d’être marin: «Je voyage, je pars en mer et j’aime beaucoup mon métier ». Pour en arriver là, Eddie asuivi une formation maritime à l’université Holy Cross de Davao City, l’une des plus importantes villes du pays, avant d’être embauché par une agence de recrutement de marins comme il en existe des centaines aux Philippines. Actuellement lieutenant sur un cargo sous pavillon hollandais, le Scheldedijk, il est embarqué pour huit mois et nous l’annonce avec un large sourire: «Ce n’est pas long, pour mes deux premiers embarquements, je suis parti onze mois. C’était dur au début mais je me suis accomodé à ce rythme et je gagne très bien ma vie». Comme l’oblige la loi pour les Philippins travaillant à l’étranger, 80% de son salaire de lieutenant est directement versé à sa famille. Plus tard, Eddie se rêve capitaine, il se donne dix ans pour atteindre ce poste. 

 A BON PORT 
Chroniques des quais de Brest 

Rédigé le 09 mars 2012 à 10h38 

Le site du Seamens’s Club de Brest