L’escale, autrement [Sud Ouest]

Les marins de commerce y trouvent la chaleur de l’escale, entre une bière et une liaison Internet. Le Grand Port renforce son soutien. 

Les Chinois et les Indiens sont maîtres dans l’art de négocier les prix au comptoir. Les Philippins, eux, se régalent d’interpréter Mireille Mathieu au micro du karaoké. Et si un Ukrainien ou un Russe commande une bière, c’est un rien ténébreux qu’il ira la basculer à un coin de table. Pour s’isoler, il y a aussi une bibliothèque garnie de livres en anglais.

Le Seamen’s club de l’association Marin’escale est un lieu unique à La Rochelle. Le seul où l’on peut acheter une tour Eiffel de bimbeloterie, où le ping-pong est pratiqué dans une salle qui fait office de cybercafé. Bienvenue à La Pallice, dans l’enceinte du Grand Port maritime, au carrefour de… 100 nationalités. Un foyer pour les marins de commerce qui, souvent, est le seul souvenir qu’ils conserveront de leur escale rochelaise ; une adresse cosmopolite, dans l’ancienne billetterie du bac de l’île de Ré, devenue le trait d’union entre leur vie au long cours et l’ancrage familial.

1 euro l’heure de communication sur Internet. C’est le tarif pour accéder à l’une des vingt plateformes de connexion. Et, si le marin n’a pas cassé le billet de 100 dollars US qu’a tendu le commandant du navire avant sa descente sur le quai, ici, on le lui change.

Le soleil se lève à 9 h 30

Il s’y vend moins de cartes postales qu’hier, mais les liaisons via Skype offrent souvent des scènes un rien surréalistes qui ne laissent d’amuser les deux permanents, et la douzaine de bénévoles, qui accueillent ces équipages. Il faut imaginer l’instant pour jauger l’ambiance : un marin philippin fait défiler femme et enfants sur l’écran de son ordinateur portable, connecté à un point de campagne au beau milieu de l’Asie du sud-est, et tout près, une paire de joueurs hilares dribblent sur la « pelouse » du baby-foot, entre billard et chaîne hi-fi.

Quand le port s’endort, le foyer s’éveille. Un monde en miniature qui tient dans quatre salles. Le soleil s’y lève à 10 heures (ce sera 9 h 30 à compter du mois prochain) et il se couche à 22 heures. Six jours sur sept, et bientôt sept sur sept.

Pourquoi iraient-ils ailleurs ces 987 marins qui ont franchi le seuil au mois d’octobre dernier (un record) et les 7 200 qui, pendant l’année, ont poussé la porte, sans remarquer à l’entrée la jardinière de fleurs composée dans un ancien godet de la drague TD-6 du port de La Rochelle ? Un petit cargo dépote en six heures. Trop court pour aller en ville, mais assez long pour débarquer et joindre la famille. Le Seamen’s est toujours assez près de leurs attentes, surtout depuis qu’un minibus envoyé sur le quai après un message radio passé par le cargo, permet le ramassage des marins, à la demande.

Subvention et prêt de local

Association reconnue d’intérêt général, le Seamen’s ne vit cependant pas de l’air du temps. Pour abonder un budget de 100 000 euros, la mairie de La Rochelle, le Conseil général et, pour les investissements, la Région, la Communauté d’agglomération rochelaise, et les Œuvres de mer, sont de fidèles partenaires. Le Grand Port arrive en tête de ces soutiens.

Le président du Seamen’s, Jean Munier, et le président du directoire du port, Nicolas Gauthier, viennent ainsi de formaliser l’augmentation de la contribution du port. La subvention croît de 5 000 à 29 000 euros, et le concours global du port, qui inclut la mise à disposition des locaux, atteint 50 000 euros par an. L’image de qualité de l’escale, et l’attachement au lien social érigé en principe dans sa charte de développement se dessinent en filigrane de cette aide. Son renforcement permet directement de pérenniser en contrat à durée indéterminée le contrat (jusqu’alors aidé et qui arrivait à échéance) de l’un des deux permanents du foyer. Kamal Sassi peut ainsi, en toute quiétude, continuer d’être au service des marins, de se régaler des moments partagés en leur compagnie, et de leur tirer le portrait avec l’appareil photo qui jamais ne le quitte. Et le Seamen’s, créé en 1994, peut continuer d’ouvrir sa porte sur l’horizon.

Jeudi 2 février 2012
Par Philippe Baroux