Aux origines des Seamen’s Clubs – Explorations

Marin’Escale au port de La Rochelle-Pallice

En décembre 2018, je franchissais pour la première fois la porte du Seamen’s Club du port de La Rochelle-Pallice. Devenu à mon tour bénévole de l’association, j’ai tout de suite été frappé par l’éclectisme sympathique des participants : officiers de marine en retraite, syndicalistes, religieux…

Un marin qui a un problème peut y entrer en contact avec un aumônier, un pasteur ou un défenseur des droits du marin (généralement un syndicaliste). Il peut aussi se contenter d’une bière pression ou d’un tube de dentifrice…

J’ai rapidement voulu en savoir plus sur l’origine du club. La réponse je l’ai trouvé pour partie dans un ancien article, accessible en ligne, de Philippe Baroux dans Sud-Ouest et surtout dans le témoignage des protagonistes, notamment Bryan Parrish.

Pendant deux ans un cargo, l’Abanga, resta bloqué à La Rochelle, les Gabonais qui formaient l’équipage (une vingtaine de marins) passèrent les Noël 1992 et 1993 à La Rochelle, avant d’être rapatriés dans leur pays au printemps 1994. Mais pendant ce temps, en 1993 un autre cargo le Rio Sul, pavillon chypriote, armateur portugais, six marins roumains, resta bloqué à La Pallice pendant cinq mois. Sans salaires, nourris par les Restos du Cœur, les marins étaient abandonnés. Cet événement déclancha un élan de solidarité à La Rochelle. C’est dans ce contexte que fut organisé l’assemblée créatrice du Seamen’s club Marin’escale en décembre 1992. Mais l’idée avait prise forme un an auparavant ainsi que le raconte Bryan Parrish, alors animateur de la Fraternité, (foyer d’origine protestante). « J’ai rencontré Joseph Fontaineau, prêtre et ancien marin de pêche dans ma recherche. Joseph était le responsable de la Mission de la Mer et était encore en activité. On a organisé une conférence-débat à la Fraternité sur les enjeux de la pêche incluant les difficultés avec les quotas européens, le problème des ventes en Espagne et les enjeux économiques pour le quartier et la ville. Un débat passionnant.

Joseph m’a introduit dans le milieu maritime et m’a fait connaitre Joseph Le Quillec, commandant du Port de La Pallice, lui aussi membre de la Mission de la Mer. Ils m’ont parlé pour la première fois de l’idée de créer un lieu d’accueil pour les marins de commerce. Il faut se rappeler qu’en 1991, on n’avait pas d’association, ni de local, ni de financement quelconque. L’engagement de La Mission de la Mer joua un rôle déterminant dans la création de Marin’Escale. Les deux Joseph avaient aussi l’intelligence d’ouvrir cette démarche aux autres et je leur suis très reconnaissant d’y avoir été associé. »  L’association créée était non-confessionnelle et même laïque, elle a obtenu les soutiens financiers du maire de La Rochelle, Michel Crépeau, de la Chambre de Commerce et d’Industrie, du Conseil Général et du syndicat ITF qui offrit le premier minibus. En 1997, le Grand Port Maritime mit l’ancienne billetterie du bac de l’île de Ré à la disposition de l’association.

Bon, l’association se nomme Marin’Escale et on l’appelle Seamen’s Club. Ah ? Confiné à la maison en avril et mai 2020 par l’épidémie, j’ai voulu en savoir plus. Mais une recherche sur le Web ne m’a d’abord pas beaucoup aidé. J’imaginais une Union des Seamen’s Club et je l’ai cherché en vain.

J’ai d’abord compris qu’en France actuellement, il existe des « Associations des Amis des Marins » ou des « Associations d’Accueil des Marins » qui animent 21 foyers appelés le plus souvent « Seamen’s Club » . Ce sont des associations loi 1901. Il en existe à Dunkerque, Calais, Rouen, Le Havre, Saint-Malo, Brest, Lorient, Saint-Nazaire, Nantes, Bordeaux, Bayonne, Port-la-Nouvelle, Sète, Port-de-Bouc, Marseille, La Réunion et bien entendu à La Rochelle (Marin’escale). Ces associations sont regroupées dans la FNAAM, Fédéraration Nationale des Associations d’Accueil des Marins, elle-même membre, au niveau mondial, de l’ISWAN, International Seafarers’ Welfare and Assistance Network qui est un interlocuteur de l’Organisation maritime internationale OMI/IMO créée en 1948 au sein de l’ONU.

Je n’en fus pas surpris, la Marine Marchande représentant 90 % du commerce mondial, on comprend que l’accueil des marins soit aujourd’hui largement « globalisé ». Mais il y a des Seamen’s Clubs dans le monde entier aux dires des marins que j’y rencontre…

Je me suis alors souvenu avoir croisé pour la première fois un Seamen’s Club, cinquante ans auparavant à Bombay. Précisons que je n’étais pas marin.

A Mumbaï, à un demi-mile au nord de la victorienne Porte de l’Inde se dresse encore aujourd’hui selon Google Earth que j’ai consulté, un majestueux édifice de pierre de style colonial. Sur sa façade on lit en grandes lettres dorées « Prince of Wales Seamen’s club ». Créé par la Bombay Sailors Friends Association en 1837, il accueille les marins depuis cette date, même si le bâtiment actuel ne date que de 1918. Il est aujourd’hui géré par la Royal Bombay Seamen’s Society, membre de la Mission to Seamen et de l’International Christian Maritime Association. Ouvert en 1837 sous patronage royal britannique, il l’est toujours sous le gouvernement de la république « socialiste et laïque » de l’Inde.

En fait il y a deux Seamen’s Club à Bombay, avouons que je ne sais rien de l’autre, si ce n’est qu’il semble s’appeller Royal Seamen’s Club (sic).

Au début du XIX° siècle, dans l’Angleterre protestante et son Empire…

Ce type d’établissement d’accueil de marins sous forme de foyer se rencontre dans la majorité des grands ports du monde. Il en existerait plus de 400 selon Guy Pasquier. Ils avaient à l’origine une fonction d’hôtels qui n’a généralement plus de raison d’être aujourd’hui. Les rotations sont plus rapides et les marins restent à bord. La « bannette chaude » a été remplacé par une couchette individuelle. Ils ont éventuellement comporté des bibliothèques et des banques. Les ports étant souvent désormais éloignés des villes, les foyers servent de lieu de détente, ils fournissent quelques produits essentiels, le change des devises et des moyens de communication avec la famille. Exactement ce que nous faisons à Marin’Escale.

Ils portent des noms assez variables, souvent lié à l’association qui l’a créé et à ses motivations. Seamen’s Club, peut-être le plus usité, est donc un nom commun, un nom générique pourrait-on dire. C’est ce qui explique que n’importe qui peut l’utiliser. En général, c’est un lieu de bonne compagnie mais parfois comme en Asie du Sud Est, ce peut être une maison close (cf. Peregrino Dan). D’origine généralement associative, ils poursuivent des objectifs pas nécessairement contradictoires : philanthropiques, moraux, anti-alcooliques, religieux, utilitaires…

C’est que j’ai rapidement découvert que l’origine de ces foyers remonte au début du XIX° siècle et est généralement anglo-saxonne, le plus souvent religieuse. Je crois qu’il y a à cela deux raisons assez évidentes. A cette époque l’Empire britannique domine le monde et sa flotte commerciale est de loin la première en importance. La moitié du tonnage mondial naviguait sous le Red Insign, le pavillon marchand britannique. Par ailleurs c’est la grande époque du Réveil Protestant (« Revival ») dont participent la plupart des associations à l’origine des créations de foyers de marins.

La grande floraison des foyers de marins se produit semble-t-il, un peu plus tard dans les années 1890. C’est à ce moment qu’apparaissent aussi les premiers établissements français, d’inspiration catholique ou initialisés par l’action des pouvoirs publics comme on le verra.

L’hôtesse et le marchand d’hommes

Mais direz-vous avant de voir comment et pourquoi ils ont été créés, est-ce à dire qu’il n’y avait rien avant ? Là je peux faire appel à mes modestes compétences d’historien et aux livres de ma bibliothèque, les bibliothèques de LaRochelle étant fermées pour cause d’épidémie.

Avant et ce durant des siècles, personne, à commencer par les armateurs, ne s’était soucié du sort des marins long-courriers entre deux embarquements. Les auteurs ont beaucoup décrit la vie en mer, témoignages parfois, fantasmes le plus souvent, mais on ne s’est pas intéressé à leur vie à terre.

Il existait pourtant un système simple et assez universel reposant sur deux acteurs principaux : l’hôtesse et le marchand d’hommes. Dans la langue du bord comme dans les chansons, « hôtesse » est synonyme d’hôtel comme Seamen’s Club est aujourd’hui synonyme de foyer d’accueil. C’est l’équivalent d’un « garnis » avec un rez-de-chaussée comprenant un bar et un restaurant. Le marchand d’hommes est tout simplement un « placier » comme il en existait alors pour de nombreuses professions, c’est lui qui cherche à composer des équipages, les capitaines ne s’en occupant pas en général. Leurs rémunérations restent modestes comparées à la solde des matelots, mais les « à-côtés » ne l’étaient pas ! Généralement les deux services sont liés, souvent la femme fait « hôtesse » et le mari « marchand d’hommes ».

Un écrivain français Charles Le Goffic, membre de la Société des Œuvres de mer dans un texte de 1897 (Gens de Mer) décrit les deux types de personnages au moment même où s’ouvre à Dunkerque le premier « hôtel de marins », institution destinée à les remplacer. Il salue le rôle des hôtesses qui furent durant des siècles pour les matelots « une façon de providence, le refuge temporaire où ils pourront attendre des jours meilleurs ». Il souligne, par exemple, que la guerre de 1870 avait jeté sur les quais du Havre des milliers de matelots qui sans elles seraient morts de faim.

Mais ce système posait deux problèmes. Le marin y était piégé, l’armateur aussi. Car si l’hôtesse faisait très largement crédit, elle se rémunérait lors de l’embarquement suivant. Et si le matelot était traité « comme un monarque » on savait exactement combien il allait gagner ou combien il avait déjà touché. On pouvait donc le plumer jusqu’au dernier sous. Quant au marchand d’hommes il privilégiait sa rémunération au détriment de ce que l’on nommerait aujourd’hui la « gestion des compétences » ! Les capitaines se plaignaient donc beaucoup des embauches. Les deux professions finirent par avoir funeste réputation dans un contexte terriblement noirci par la littérature.

Une image sordide des ports dans la littérature du XIX° siècle

A partir de 1830 en Angleterre, plutôt 1840 en France, en effet, l’image des ports, jusqu’alors simplement pittoresque, devient celle d’un cloaque sordide. Cela « émane d’un corpus de textes extrêmement vaste, composé de dizaines de romans, d’essais et d’enquêtes sociales » comme l’évoque Damien Cailloux, « Les tapisfrancs sont présents sur les quais. C’est l’endroit de la débauche, du « sabbat » et de la consommation d’alcool précise-t-ilLes hommes les plus « dégoûtants » côtoient les « bacchantes » les plus immorales. Ces présences renvoient à l’imaginaire du roman maritime où les cabarets accueillent les festivités des marins en bordée. » Il faut rappeler que les hommes de lettre ne croisaient les marins que rarement et qu’ils ne savaient rien de la discipline du bord. Mais leur imagination pouvait être fertile et les principaux acteurs n’étaient pas toujours des enfants de cœur. Notons que certaines chansons à boire de marins cultivent habilement l’ambiguïté. Ces descriptions parfois apocalyptiques du sort des marins vont faciliter la mobilisation d’une partie des bonnes consciences vers la cause des pauvres matelots.

Les pasteurs et les philanthropes anglais avaient fait cinquante ans plus tôt les mêmes constats concernant le rôle des hôtesses et des marchands d’hommes, l’immoralité et l’ivrognerie supposées des marins.

« Seamen were often cheated, robbed or even murdered. As one observer noted, ‘Jack’ was ‘fair game to everybody’. Foreign seamen were particularly at risk.Partly to protect seamen from crime and exploitation, and partly to protect them from the moral dangers of drink and debauchery, philanthropists and churches set up facilities for seamen in the port. » écrivait Augustus Sala, journaliste au Daily Telegraph vers 1850. (trad de l’auteur : Les marins étaient souvent trompés, volés ou même assassinés. Comme l’a noté un observateur, «Jack» était «le type à rouler par excellence». Les marins étrangers étaient particulièrement menacés.

En partie pour protéger les marins du crime et de l’exploitation, et en partie pour les protéger des dangers moraux de l’alcool et de la débauche, des philanthropes et des églises ont installé des installations pour les marins dans le port.)

L’exemple des œuvres de bienfaisance londoniennes

Voyons comment apparaissent les foyers de marins ? Prenons le cas de Londres, capitale de l’Empire, on y mesure bien l’ancienneté des projets et leurs deux marqueurs : l’initiative privée associative et la religion. On s’accorde à reconnaître comme étant la plus ancienne œuvre de bienfaisance (« charity ») destinée aux marins, la Maritime Society créée le 25 juin 1756 par un groupe de négociants à la King’s Arms Tavern. Elle avait pour but de recruter des matelots pour la Navy et de les habiller gratuitement (ce qui s’avéra les protéger du typhus!). Elle en recruta 10 000. En période de paix elle envisagea de se reconvertir dans le « manning » (recrutement) pour la marine marchande et surtout l’éducation des matelots dans le but de réduire les désertions. De 1756 à 1940, elle forma 110 000 marins. Actuellement elle continue à œuvrer dans le domaine de l’éducation et du bien-être des navigants. Si elle n’opère directement dans aucun foyer (à ma connaissance) elle en soutient beaucoup financièrement, notamment ceux de Sailor’s Home and Red Insign Society.

Toujours à Londres dès 1814, Georges Charles « Bosun » Smith (notez le surnom!), un pasteur méthodiste institua des réunions de prière pour la marine marchande. Son initiative est à l’origine de la British and Foreign Sailors’ Society, aujourd’hui la British and International Sailors’ Society qui a essaimé dans presque tous les ports de l’Empire britannique. Elle est présente aujourd’hui dans 90 port sans compter les sociétés associées de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et du Canada.

Encore à Londres en 1835, un groupe de philanthropes convertit un entrepôt délabré des Docks en Destitute Sailors’ Asylum avec l’idée que le bien-être physique des marins était aussi important que leur instruction religieuse. Devenu un Sailors Home il servit d’abri à de nombreux marins jusqu’en 1974. L’un d’entre eux, Joseph Conrad, alors marin polonais comme l’on sait, l’a décrit en ces termes : « J’ai fréquenté le Sailors’ Home pendant 16 ans de ma vie…de 1878 à 1894,. J’ai écouté les conversations sur les navires à toutes les latitudes et ce nom revenait souvent. Je voudrais dire que pour les marins, le foyer de Well street était un lieu amical. Il était paisible, empreint de discrétion, dans le respect de l’indépendance des hommes qui cherchaient son abri à terre, et sans autre but que cette amicale efficacité. ». On remarquera que Conrad souligne l’absence de prosélytisme chez ses hôtes. Ce nom de Sailor’s Home sera l’appellation la plus répandue avant celles de Seamen’s Club.

Le dernier établissement du port de Londres qui remplit encore exactement sa mission d’origine est le Queen Victoria Seamen’s Rest, créé dans les années 1890 par l’Église Méthodiste wesleyenne.

Enfin mentionnons la Mission to Seafarers qui gère aujourd’hui 120 centres (connus sous le nom de Flying Angel Centres) à travers le monde a été fondé par un pasteur anglican, John Ashley en 1835.

Sans surprise l’histoire est sensiblement la même aux Etats-Unis. La flotte américaine était beaucoup moins importante, cependant le même type d’initiatives a vu le jour, avec les mêmes initiateurs. L’American Seamen’s Friend Society fondée en 1818 ouvrit trois foyers dans le port de New York et … essaima en France sous la Monarchie de Juillet. Notons la Boston Seaman’s Friend Society en 1827 devenu la Seafarer’s Friends . C’est également à Boston que fut construit la Mariner’s House, hôtel pour marins géré par la Boston Seamen’s Aid Society . La Seamen’s Church Institute of New York and New Jersey fondée en 1834 assura également l’accueil des marins dans le port de New York. Cependant l’United Seamen’s Service, bien connue, créée en 1942 intéresse la marine marchande mais il développa surtout des centres pour la US Navy dans les zones de conflit.

L’Europe du Nord a connu la même floraison d’établissements mais plutôt à la fin du XIX° siècle. C’est ainsi que la Finnish Seamen’s Mission luthérienne, créée en 1875 opère dans une vingtaine de ports en Europe. En Allemagne la plus ancienne installation date de 1891 à Hambourg, elle a été relayée par l’actuel Duckdalben – International Seamen’s Club, fondé en 1986. Réputé pour être le meilleur Seamen’s Club du monde, il est financé par les autorités portuaires, l’Église luthérienne et le syndicat international ITF.

En France, premiers établissements copiés sur le modèle anglais

Et en France ? Les établissements français vont pour une large part s’inspirer des modèles anglais mais seront souvent marqués par l’action des pouvoirs publics.

En 1886, Félix Faure, alors député de la Seine-Inférieure, déposa un projet de loi pour la création de « Maisons duMarin » sur le modèle des « Sailor’s Home » britanniques qui éxistaient, comme on l’a vu, depuis le début du XIX° siècle. Il proposa de financer ces établissements par un prélèvement de 4 % sur les subventions d’encouragement à la construction des navires (loi de 1893). Après Dunkerque des Maisons du Marin furent créées à Bordeaux en 1896, à Nantes et Marseille en 1897, l’année suivante à La Rochelle au 7 rue de la Fabrique.

On peut lire dans les statuts de l’établissement de la Rochelle tels que conservés à la CCI :

« procurer aux marins, à peu de frais, un logement et une nourriture et mettre à leurs dispositions une sorte d’hôtellerie familiale où leurs gains et leurs économies soient à l’abri de toute exploitation, s’occuper soit de les rapatrier, soit de leur trouver un nouvel embarquement et les soustraire le plus possible aux tentations du cabaret et combattre à notre tour l’invasion de plus en plus redoutable de l’alcoolisme ». Trois bâtiments seront construits à la suite dont celui de la rue de la Chaîne qui abrite aujourd’hui le bar André et où on peut lire l’inscription : « Abri du Marin »..

Il existait, en fait, parallèlement en France dans les dernières années du XIX° siècle deux « Sailor’s Home », au Havre et à Marseille, initiatives privées de l’Église Anglicane avec l’appui de l’Amirauté britannique. Les murs y étaient garnis d’inscriptions bibliques et les spiritueux, bannis. Les boissons autorisés étaient la bière de gingembre, la limonade et le sirop d’orgeat… Le tarif est de 4 Fr par nuit contre 2,5 Fr chez les hôtesses. Les Français fuyaient l’endroit dit-on. Les Anglo-Saxons s’en accommodaient, ils en appréciaient pragmatiquement le confort et la sécurité et allaient boire leur bière à quelques mètres de là au Queen Victoria.

En France en 1946, l’État créa une association pour « coordonner les efforts » l’AGISM Association pour la Gestion des Institutions Sociales Maritimes qui lança les « Maisons des Gens de Mer ». Celle de La Rochelle est toujours visible près de la gare. Depuis elles ont été ouvertes au public les marins en escale dormant désormais à bord.

Les initiatives catholiques à partir de 1890

Côté catholique des initiatines ont vu le jour également dans les années 1890, au Royaume-Uni comme en France. Je pense que c’est l’encyclique rerum novarum de 1891 qui va susciter de nombreuses vocations le plus souvent de la part de laïcs. La plus ancienne est la Société des Oeuvres de mer créée en 1894 à l’initiative des frères Bailly dont deux étaient Assomptionnistes pour l’assistance à la Grande Pêche. Leur action la plus connue est d’avoir armé des navires hopitaux sur les Bancs de Terre Neuve mais leur premier geste fut d’aménager une maison d’accueil à Saint Pierre en 1895. Il y en eu deux autres : à Reykjavik et à Faskrudsfjord. Ces bâtiments étaient appelés « Maisons de Famille ».

Aujourd’hui, dans certains ports de commerce, la Société aide par des subventions les associations d’Amis des Marins, c’est à dire des Seamens’s Clubs.

L’initiative de Jacques de Thézac, plaisancier philanthrope visait de son côté les pêcheurs bretons. S’il a toujours avancé sa neutralité religieuse, il se rattache certainement au mouvement du catholicisme social. Il créa en 1900 les « Abris du Marin » pour offrir aux pêcheurs bretons des locaux sains, chauffés, confortablement aménagés avec des salles de réunion et d’éducation. Bien entendu inspirés des « Sailor’s Homes » britanniques. On y buvait de la tisane d’eucalyptus car le projet était clairement anti-alcoolique Quinze établissements ont vu le jour entre 1900 et 1952 dans les ports du Finistère et du Morbihan. Ces bâtiments construits selon le même modèle étaient financés par des ventes de charité ; on les reconnaissait à leurs murs peints en rose car Thézac trouvait que c’était plus gai et bien reconnaissable pour les marins étrangers. L’oeuvre existe toujours, elle édite le fameux Almanach du marin Breton.

Mais la plus importante contribution catholique a vu le jour le 4 octobre 1920, quand trois laïcs dont un Anglican converti se réunirent à Glasgow et décidèrent de fonder l’ Apostolat de la Mer (Apostulatus Maris). L’un deux, Peter F. Anson proposa d’introduire la dimension de l’assistance aux marins à côté de l’aspect religieux. A cette époque, il n’existait pas plus d’une douzaine de centres catholiques dans le monde, répartis dans six pays et sans aucune relation entre eux si l’on en croit les sources de l’institution. Très vite le mouvement, reconnu dès 1922 par les autorités écclésiatiques va ouvrir des hotels pour marins dans la plupart des grands ports. Aujourd’hui ces établissements sont devenus des « seamen’s clubs ». On les trouve dans 41 pays avec au minimum la présence d’un aumônier.

Connue longtemps sous le nom d’Aumônerie de la Marine marchande puis, plus tardivement, sous celui de Section française de l’Apstolat de la mer,  la Mission de la Mer est un organisme créé officiellement en France en 1945. Sa vocation est clairement l’évangélisation et à l’époque la lutte contre l’influence communiste chez les marins. D’abord orientée vers l’éducation, notamment les écoles d’apprentissage, elle fut le foyer dans les années 50 des prêtres marins. L’un de ces prêtres le père Job Daouben fonda en 1994 le Seamen’s Club de Brest. D’une manière générale, la Mission de la Mer est associée à la création de la majorité des Seamen’s Club français.

Conclusion

Il me paraît donc clair aujourd’hui que les Eglises sont à l’origine de la majorité des foyers de marins sur la planète. Pour unir leurs forces, en 1969, l’International Cristian Maritime Organisation regroupa 28 associations le plus souvent protestantes, certaines fortes anciennes mais aussi l’Apostolat de la Mer catholique dans un ensemble qui mit en avant sa neutralité confessionnelle, politique et nationale. L’ICMA est membre de l’ISWAN. Je note aussi que depuis 2006, l’Apostolat de la Mer collabore au Royaume-Uni avec la Sailor’s Society et la Mission to Seafarers, l’ITF et l’ICMA au sein des Centres for Seafarers qui sont les Seamen’s Clubs britanniques, notamment à Southampton et Tilbury.

Il ne faudrait certainement pas oublier le rôle des syndicalistes dans cette histoire, singulièrement ceux de l’ITF International Transport Worker’s Federation. A l’origine il s’agit d’un syndicat de gens de mer fondé à Londres en 1896 sous le nom de International Federation of Ship, Dock and River Workers. A ma connaissance ils n’ont pas créé de foyers mais ils ont largement subventionné l’existant à travers le monde et y sont très présents à travers leurs inspecteurs au même titre que les représentants des autorités portuaires. Savoir comment ils y ont participé dans le passé est une piste que je n’ai pas encore explorée.

Richard Lick mai 2020

Sources principales

Charles Le Goffic « Sur la côte : les gens de mer », Paris Armand Colin 1897

Nicolas Cochard, « Des lieux de régulation de la vie maritimo-portuaire : les débits de boissons au Havre au XIXe siècle » in Annales de Normandie 2014-2

Damien Cailloux, « L’émergence des bas-fonds de l’Ouest », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest  2017

Peregrino Dan https://dantwothreefour.wordpress.com/2014/10/06/the-two-types-of-seaman-clubs/

Joseph Conrad « A friendly place » inNotes on life and letters 1912

PortcitiesLondon http://www.portcities.org.uk/london/server/show/ConNarrative.141/chapterId/2936/The-welfare-of-seamen.html

Apostelship of the Sea https://www.apostleshipofthesea.org.uk/

Alston Kennerley « Joseph Conrad at the London Sailors’ Home » in Joseph Coonrad Society UK 2008

Christophe Bertaud « La Maison du marin » in Traces CCI La Rochelle s.d ;

ICMA https://icma.as/icma-members/

interview du Père Guy Pasquier dans le Marin du 28/05/2015

Antonio Maria Vegliò, « l’Apostolat de la mer a 90 ans » in Apostolatus Maris Bulletin N.106,2010/III

Jean Munier – Président Marin’Escale, allocution du 28/11/2009

Société des œuvres de mer http://www.societe-oeuvres-mer.fr/

Guy Pasquier « Sur les routes maritimes, les acteurs invisibles de la mondialisation, CCFD Terre Solitaire » le 28 janvier 2017 à la Roche sur Yon.

Catherine Berger, « Entre terre et mer, la difficile alliance de l’Action catholique et de l’élan missionnaire à la Mission de la Mer (1945-1959) » in Histoire des missions chrétiennes 2009/1, n°9

Fréderic Tanter, « les Abris du Marin » in le Chasse-Marée, n°64, avril 1992

Philippe Baroux, « Rétrospective : ces bateaux maudits qui ont marqué l’histoire du port de La Rochelle » in Sud-Ouest du 6 octobre 2015

G. W. Blunt « History of American Seamen’s Friend Society » White Library, Mystic Seaport

Bryan Parrish, témoignage inédit, 14 juin 2020