Bénévoles du mal de terre

Il n’y a qu’un endroit, en Charente-Maritime, où l’on consulte simultanément l’heure de New York, de Moscou, de Manille ou de Bombay, sur des horloges accrochées au même mur. Un endroit, en Charente-Maritime, où une dédicace de Bernard Giraudeau est consignée dans le même livre d’or que celle qu’a couchée sur le papier l’anonyme de l’« Orinoco », de l’« Arklow Venus » ou de l’« American Iris ». Qu’ils soient écrivains de marine, marins de l’État, marins au commerce, matelot, mécano ou officier, ils fréquentent tous ce Seamen’s club de l’association Marin’escale, sans distinction de pavillon, de religion, de fonction ou de grade. 
Il y a un mois, l’acteur au long cours était accueilli dans ce qui était hier l’ancienne gare maritime du passage pour Ré, et aujourd’hui un foyer au coeur du port de la Pallice.

Bernard Giraudeau venait d’accorder son parrainage à ce quinzième anniversaire que l’association s’apprête à célébrer.
L’homme de mer (embarqué un temps sur le porte-hélicoptères « Jeanne d’Arc ») ne pourra se libérer pour la fête annoncée samedi prochain, à partir de 16 heures, salle municipale de la Pallice. Mais il adressait à l’« équipage » du Seamen’s ces mots en partage : « J’aime ce que vous faites », soulignés d’un post-scriptum qui dit toutes les aventures humaines qui s’écrivent en ce lieu unique : « pour tous les gens de mer qui n’ont pas besoin de la langue pour se comprendre, vous êtes un lien merveilleux, un cocon chaleureux. Marin’escale est une autre matrice, généreuse, désintéressée. Nous sommes chacun en tous, indissociables, et les marins en ont une grande conscience. »

La conscience ? Elle fut ici celle d’un noyau de quatre à cinq volontaires que le sort et la solitude du marin à l’escale émouvaient. Un « marin en rade, au propre comme au figuré », évoque Jean Munier. Il était du commando de bienfaisance et de fondateurs. Il préside aujourd’hui à la générosité de l’association.

7 200 marins par an

Quinze années sont passées. S’il subsiste une cabine téléphonique à l’extérieur du local, l’une parmi les dernières de la ville, c’est parce qu’elle n’est pas de trop. Parfois, à l’intérieur, le « standard saute ». Les huit téléphones portables et les six ordinateurs en prise directe sur la toile sont pris d’assaut.

Ils étaient 400 marins accueillis les premières années. Ils sont 7 200 aujourd’hui. Leurs récits intimes sont ceux de l’éloignement. Un enfermement à l’autre bout du monde pour ces Philippins, Russes, Chinois, Polonais, Ukrainiens, qui poursuivent tous le même rêve de retour.

Les murs du foyer racontent comment ils trompent l’ennui. Photographies épinglées, maquettes offertes, billets de banques plus exotiques que des planisphères, tranches de vies léguées à l’amitié, autant de bonheurs et d’instants partagés à l’escale, au Seamen’s. Certains offrent une signature. D’autres, une bouée de leur cargo.

Entre six tables offertes il y a des lustres par la préfecture, des fauteuils réformés par les Affaires maritimes, un distributeur de bière à la pression, un téléviseur grand format, un baby-foot, et une table de ping-pong, le marin est ici comme chez lui. Il peut arrêter le temps. Mais seulement de 12 à 22 heures et jamais le dimanche, au grand dam des bénévoles de l’association, dont Jean Munier, l’ancien prof du lycée maritime, ou Thierry Warion, pilote de Charente et de La Rochelle.

Eux racontent le budget en peau de chagrin réservé à ces marins en attente d’appareillage. 100 000 euros, dont 30 % seulement sont alimentés par des subventions publiques (Grand port maritime, Conseil général et Ville de La Rochelle) et la participation de quelques-uns des armateurs dont les cargos accostent à la Pallice. Trop peu, pour consolider les deux emplois des permanents du foyer, Guillaume Campion et Kamel Sassi. Donc trop étriqué pour ouvrir la journée entière, tout au long de la semaine.

Et pourtant, le bien-être des gens de mer est écrit dans les conventions internationales du travail. Thierry Warion, le vice-président tient à le souligner, pour que l’État – qui a pris l’engagement de créer cette commission portuaire qui serait en charge du sujet, évaluerait le besoin, et ajusterait le soutien – pour que cet État donc soit mis devant ses responsabilités. La commission est pourtant bien prévue dans les textes, mais seulement dans les textes, de toute évidence. Et pourtant, des endroits comme celui-là, il n’y en a qu’une quinzaine dans les grands ports de commerce de France.

Auteur : p.baroux@sudouest.com

Sud Ouest 25 Novembre 2009